Bonjour à toutes et à tous ! Aujourd’hui, je vous retrouve pour vous parler d’un livre coup de poing d’une passeuse d’histoire et de mémoire très attachante et souriante, Ginette Kolinka. Dans « Retour à Birkenau » publié chez Grasset, elle nous livre, sous la plume de Manon Ruggieri, le témoignage poignant de sa déportation vers Birkenau et de son retour dans le camp, cinquante-ans plus tard, en compagnie de jeunes élèves.
« Moi-même je le raconte, je le vois, et je me dis c’est pas possible d’avoir survécu… »
Arrêtée par la Gestapo en mars 1944 à Avignon avec son père, son petit-frère de douze ans et son neveu, Ginette Kolinka est déportée à Auschwitz-Birkenau : elle sera seule à en revenir, après avoir été transférée à Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt. Dans ce convoi du printemps 1944 se trouvaient deux jeunes filles dont elle devint amie, plus tard : Simone Veil et Marceline Rosenberg, pas encore Loridan – Ivens.
Aujourd’hui, à son tour, Ginette Kolinka raconte ce qu’elle a vu et connu dans les camps d’extermination. Ce à quoi elle a survécu. Les coups, la faim, le froid. La haine. Les mots. Le corps et la nudité. Les toilettes de ciment et de terre battue. La cruauté. Parfois, la fraternité. La robe que lui offrit Simone et qui la sauva. Que tous, nous sachions, non pas tout de ce qui fut à Birkenau, mais assez pour ne jamais oublier ; pour ne pas cesser d’y croire, même si Ginette Kolinka, à presque 94 ans, raconte en fermant les yeux et se demande encore et encore comment elle a pu survivre à « ça »…
Qu’il est difficile de parler d’un tel livre ! Un témoignage poignant et tout en pudeur pour nous raconter l’indicible. Ginette Kolinka a hésité longtemps avant de partager son histoire, de sensibiliser et de convaincre les jeunes de l’importance du devoir de mémoire. Elle nous livre aujourd’hui son récit de l’enfer au sein du camp de Auschwitz-Birkenau et témoigne, encore et encore, dans les écoles pour combattre le négationnisme, l’antisémitisme et l’oubli !
Cela ne vous a sans doute pas échappé : je lis régulièrement des livres traitant de la Seconde Guerre Mondiale et de la Shoah. C’est un sujet auquel je suis sensible et je pense que tout le monde devrait lire ce livre pour ne jamais oublier, ne jamais recommencer et en particulier, les jeunes générations qui n’auront bientôt plus l’occasion d’écouter des témoins directs de l’Holocauste. Je me suis rendue sur place, à Birkenau, il y a quelques années mais on ne peut pas se rendre compte de l’horreur dans ce décor si paisible aujourd’hui. Comme le dit très bien Ginette Kolinka en préambule :
« La dernière fois que je suis retournée à Birkenau, c’était au printemps. Les champs se couvraient de fleurs, l’herbe était verte, le ciel limpide, on pouvait entendre les oiseaux chanter. C’était beau. Comment puis-je employer un mot pareil ? Et pourtant, je l’ai dit ce mot, je l’ai pensé : « C’est beau. » Au loin, j’ai vu cette silhouette qui remontait le long de la prairie. D’abord, je n’y ai pas cru, je me suis dit « ce n’est pas possible », mais c’était bien ça : une joggeuse. Elle faisait son footing, ici. Sur cette terre grasse et méconnaissable, qui avait vu tant de morts, dans cet air qui sentait le petit matin frais, la rosée. Elle courait, tranquillement. J’en ai eu le souffle coupé. J’ai eu envie de hurler, de lui crier : « Es-tu folle ? » L’étais-je, moi ?
Il ne faut pas retourner à Birkenau au printemps. Quand les enfants jouent sur leur toboggan dans les jardins des petites maisons longeant l’ancienne voie ferrée qui menait au camp et à son funeste arrêt, la Judenrampe. »
Ce qu’elle raconte, retranscrit de belle manière par Manon Ruggieri, dépasse l’entendement et on ne peut qu’être horrifiée par un tel témoignage. Il est à l’image des fameux récits de Primo Levi, Charlotte Delbo ou Marceline Loridan-Ivens. Ginette Kolinka a d’ailleurs croisé cette dernière ainsi que Simone Veil au sein du camp mais elle s’en rappelle car elle les a retrouvées et côtoyées après la guerre. Tous les visages de Birkenau se sont en effet effacés de sa mémoire, elle est incapable de se rappeler les traits de ses compagnes d’infortune. Elle s’interroge à chaque page : comment ai-je pu survivre à « ça » ? « Ça » c’est la faim, le froid, les coups, les sélections, la nudité, la haine et la cruauté dans un camp où tout humain est devenu un numéro qui doit juste survivre jour après jour. Arrêter de réfléchir, juste obéir et espérer, si tant est qu’on en a encore la force…
« Une des deux femmes me saisit le bras, je suis à nu. Elle me tatoue : matricule 78599. Il y en a, paraît-il, qui hurlent de douleur, de surprise, d’effroi. Je ne sais même pas si ça fait mal, tant la honte de la nudité est forte, cuisante. Je ne sens rien d’autre. »
Ginette Kolinka sait mettre les mots justes sur l’indicible tout en restant très pudique, telle qu’elle l’était avant de débarquer dans le camp. C’est un récit court mais éprouvant. Vous n’en ressortirez pas indemne et il faut parfois s’accrocher tant l’horreur côtoie le quotidien du camp et tant la mort est présente à chaque page. Un livre nécessaire que je pense relire plusieurs fois ! La dernière phrase du livre résume bien le récit et résonne terriblement dans le climat actuel de notre société…
« J’espère que vous ne pensez pas que j’ai exagéré, au moins ? »
Transférée à Bergen-Belsen en octobre 1944 puis à Raguhn et Theresienstadt devant l’avancée des alliés, elle est rapatriée très malade à Lyon en mai 1945 puis retourne à Paris. Elle sera la seule à revenir parmi les membres de sa famille déportés avec elle mais elle retrouvera sa maman et ses sœurs à son retour, ce qu’elle estimera comme une grande chance pour reprendre une « vie normale ». Dans la dernière partie du livre, elle nous raconte son premier retour à Birkenau et à Auschwitz en compagnie d’une école. On ne peut s’imaginer ce qu’elle a ressenti à ce moment-là mais elle nous livre ici ses ressentis à la vue des allées bien propres, face à l’absence des cris et des bousculades de Birkenau ou encore à l’amoncellement des biens de déportés à Auschwitz. C’est poignant et ce nouveau témoignage d’une passeuse de mémoire attachante est toujours nécessaire et nous éclaire un peu plus sur l’horreur de la Shoah.
« Birkenau, maintenant, c’est un décor.
Quelqu’un qui n’en connaît pas l’histoire peut ne rien voir.
D’ailleurs, quand j’y retourne, je dis toujours aux élèves : « Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas ! »
Et je leur répète : « Sous chacun de vos pas, il y a un mort.»»
Retour à Birkenau, Ginette Kolinka et Manon Ruggieri
Éditions Grasset, 112 pages
Date de parution : 09/05/2019
Je l’ai dans ma PAL, depuis que je l’ai vue à la Grande Librairie !
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Je l’avais vue aussi et c’est ce qui m’a donné envie de le lire ! Je te le conseille vivement 😉
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Je suis comme toi très sensible au sujet ! Merci pour ce partage émouvant !
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Merci !
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Une de ces lectures indispensables pour ne pas oublier.
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Je ne peux qu’approuver 😉 Une lecture nécessaire !
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